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La minéralité dans le vin: croyances et explications

8 décembre 2020

La nuit dernière, j’ai fait un terrible cauchemar : j’étais dans une pièce pleine de « geeks » du vin de la pire espèce et tenue d’entendre les commentaires de dégustation des uns et des autres. Un groupe, en particulier, était occupé à décrire un jeune Sancerre du Domaine Vacheron. Chacun leur tour, après avoir reniflé amoureusement leur verre, déclaraient d’un air entendu « c’est vraiment très crayeux », « on sent bien le silex », « et ce goût de roche ! ». Tout à coup, les protagonistes se retrouvaient à quatre pattes et se mettaient à lécher de petits cailloux. Enfin, je me réveillais, après avoir entendu le mot « minéralité » du vin résonner plus qu’il n’était supportable !

« Belle minéralité ! » de quoi parle-t-on ?

En premier lieu tentons de définir ce terme : le mot est dérivé de « minéral », qui se rapporte aux minéraux, c’est-à-dire à tout corps inorganique. Rapporté au vin, il semble être apparu au cours des 15 dernières années, et on le rencontre à présent dans chaque commentaire de dégustation. Ainsi, on peut pourtant lui reprocher son côté « fourre-tout », abstrait, qui ne désigne rien de précis et qui semble être utilisé quand le vin nous met en difficulté, un peu comme le mot « terroir » est parfois employé pour justifier un aspect ou un autre du vin, qu’on ne s’explique pas bien.

Par ailleurs, et c’est là le plus embêtant, d’un point de vue chimique, ce descripteur est erroné. Pour aller plus loin, il est surprenant de le voir appliqué à l’arôme et au goût du vin car les minéraux, à moins qu’ils ne soient frottés, grattés, chauffés, broyés, n’ont pas d’odeur, si ce n’est celles des matières organiques dont ils se sont imprégnés. Heureusement pour nous, les roches ne sont pas solubles dans l’eau, autrement qu’en serait-t-il des pyramides d’Égypte, de la Grande Muraille de Chine ou d’autres grands chefs-d’œuvre architecturaux ? Et si les minéraux ne sont pas solubles, ils ne peuvent avoir ni goût, ni odeur.  

Un descripteur prisé par les dégustateurs

Autre curiosité, le vin contient souvent moins de 2g par litre de composés minéraux (calcium, magnésium, sodium, un peu de fer et de cuivre) contre 100-200g de composés organiques. Quant aux arômes eux-mêmes, ce sont des composés organiques qui, par définition, ne contiennent pas de minéraux.

Toute la difficulté de la dégustation tient à sa subjectivité, soumise aux différences physiologiques, à la bibliothèque et à la mémoire olfactives de chacun, au vocabulaire des uns et des autres. Aussi ne faut-il pas pour surmonter cette difficulté, user d’un vocabulaire aussi pertinent et communicable que possible ? Il ne faut pas perdre en route, à cause d’un jargon trop pompeux et vague, les non-initiés.

Il n’y a rien de surprenant à entendre quelqu’un décrire un vin en usant de termes liés aux fruits, aux fleurs, aux épices, à tout ce que la nature a à nous offrir. En effet, la composition moléculaire du vin est identique à celle de certains fruits ou de certaines fleurs. On connaît assez bien la composition aromatique de nombreux cépages, en particulier celle du Sauvignon blanc, étudiée par la faculté d’œnologie de Bordeaux sous la houlette de Denis Dubourdieu. On sait par exemple, que l’odeur responsable du pamplemousse dans le Sauvignon blanc est liée à la présence d’une molécule aromatique qui est identique au fruit en question.

On s’entend aussi sur le fait qu’il est plus séduisant pour l’oreille d’user de métaphores et d’associer une odeur à un fruit plutôt qu’à sa composition chimique. Il serait difficile de communiquer de la manière suivante : « joli nez de benzène-méthanethiol et de 4-mercapto-4-méthylpentan-2-one ». Le monde du vin serait vite déserté s’il en était ainsi !

Cependant, de la même manière qu’un commentaire comme « ce vin me rappelle l’haleine de mon chien Raoul », ne parle qu’à son auteur, l’odeur de « minéralité » est laissée à l’interprétation de chacun.

Mineraux ou Dragibus

La science explique mais est-ce suffisant ?

Pour beaucoup, la minéralité est associée au sol ou plutôt, elle viendrait du sol, source essentielle des éléments minéraux du vin. Il a pourtant été observé que la teneur des sols en minéraux ne se répercute pas nettement sur la composition du vin. Les minéraux n’étant pas solubles, ils ne peuvent pénétrer directement le système racinaire de la plante. On remarque aussi que les sols les plus calcaires (donc les plus basiques, les moins acides), donnent souvent les vins les plus acides et qu’il n’y aura pas pour autant plus de calcium dans le vin.

Cette notion de minéralité dans les vins a donné lieu à de nombreuses recherches et interrogations. En 2003, des chercheurs ont identifié une molécule de la famille aromatique des thiols[1] comme étant responsable de cette odeur dite « minérale », en particulier dans les vins de Chardonnay : le benzène-méthanethiol. On a remarqué que la « minéralité » est le plus souvent associée à des vins élaborés sur des sols pauvres en azote (qui est un minéral !). En effet, lorsque le moût manque d’azote, les levures synthétisent plus de composés soufrés, qui peuvent être décrits comme évoquant des odeurs un peu fumées, « minérales ».

C’est un terme dont on remarque qu’il est souvent associé à des vins austères ou qui ne sont pas marqués par un fort caractère aromatique. Autre élément important, la « minéralité » d’un vin est presque systématiquement liée à une notion de qualité, quelque chose de discret mais séduisant dans les vins. C’est d’autant plus amusant qu’on pourrait faire le lien avec une expression aujourd’hui désuète : « le goût de terroir ». Elle aussi renvoie au sol, mais elle a longtemps été péjorative, évoquant des vins rustiques, voire à défaut, tels que les phénols volatils qui entrainent des odeurs de basse-cour, de cheval fumant ou encore de cuir de chèvre dans les vins.

Alors, quelles alternatives pour décrire un vin « minéral » sans toutefois utiliser ce mot vague ? On peut recourir à des termes plus pertinents : un vin dont l’examen olfactif évoque un côté « fumé », qui rappelle les bords de mer, les « embruns », une odeur « pétrolé », « l’âtre de cheminée », la « cendre froide », une certaine salinité en bouche. Les études conduites sur le sujet ont noté que le mot est souvent associé à des vins vifs et acides. Auquel cas, on choisira des termes tels que « tranchant », « nerveux », « mordant ».

Si nous nous entendons sur l’odeur de violette, de la poire, du poivron vert, il n’existe pas de référence commune à l’idée de « minéralité ». Tant que cette notion n’est pas universelle, c’est un mot abstrait qui ne permet pas de décrire précisément une impression plutôt qu’une autre. Il n’en reste pas moins que ce terme est largement employé, qu’il entraine une certaine fascination chez les professionnels et les amateurs donnant lieu à de nombreuses discussions, débats, articles. À ce stade de mon article, je dois avouer non sans une certaine culpabilité, avoir recours à son utilisation en de (très) rares occasions, quand les sens ou le langage me font défaut !

 

[1] Les thiols sont des molécules soufrées responsable du profil variétal de certains vins, notamment ceux du sauvignon blanc.


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Article rédigé par Annabelle Mispelblom Beijer experte vin à WiSP Campus

Annabelle Mispelblom Beijer

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