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Le bouchon dans tous ses états

17 février 2023

Émile Peynaud, père de l’œnologie moderne, disait : « Le vin est éternel, seul le bouchon peut le tuer. » On comprend, à la lecture de cette citation, l’importance que revêt le choix de l’obturateur pour préserver le vin. À quel marché le vin est-il destiné, quel sera son prix de vente, quel est son potentiel de garde, d’où vient-il, est-ce un vin de consommation courante ou haut de gamme, de quel budget dispose-t-on ? Ce sont autant de critères à prendre en compte pour sélectionner le produit le mieux adapté. Le marché offre aujourd’hui un choix dont les limites ne cessent de s’étendre : l’éternel bouchon en liège naturel ou colmaté, les bouchons en liège aggloméré ou micro-aggloméré, les bouchons synthétiques, la capsule à vis, le bouchon en verre ; quelles différences ? Voici un petit tour d’horizon des différentes solutions pour mieux s’y retrouver.

Le liège sous toutes ses formes

le liege sous toutes ses formes

Connu depuis l’Antiquité, le liège est extrait de l’écorce du chêne liège (Quercus suber de son nom savant), dont la culture se concentre essentiellement autour du bassin méditerranéen. Le Portugal en particulier, représente 60% de la production mondiale à lui tout seul. Le bouchon en liège est le système d’obturation de choix depuis plusieurs siècles, pour de bonnes raisons : les propriétés élastiques et mécaniques du liège le rendent parfaitement approprié à l’obturation d’un liquide. Les alvéoles dont il est constitué permettent le passage d’oxygène en microquantités, ce qui permet au vin de respirer tout en empêchant le passage du liquide.

Au-delà de ces qualités techniques, la magie du bouchon en liège naturel réside dans le fait que chaque pièce est unique. Découpée d’un bloc dans l’écorce du chêne, le bouchon naturel ne peut pas être répliqué à l’identique. De nombreuses études ont d’ailleurs démontré qu’il existait une grande variabilité de perméabilité au sein d’un même lot. Cela signifie que les bouteilles obturées évolueront de manière hétérogène. Il y a quelque chose de très romantique dans ce constat mais, à une époque où les vins sont de plus en plus standardisés, cela peut aussi poser problème.

Néanmoins, si le liège est de plus en plus remplacé par d’autres solutions de bouchage, ce n’est pas pour son irrégularité, c’est bien parce qu’il est encore aujourd’hui la cause d’un défaut bien connu des consommateurs : le sempiternel « goût de bouchon », identifiable à son odeur de carton mouillé ou de grenier poussiéreux.

Les composés responsables sont les haloanisoles1. Le plus répandu (à 70 %), le 2,4,6 Trichloroanisole ou « TCA », est formé sous l’action de moisissures en présence de composés eux-mêmes synthétisés à partir du chlore, qui peut provenir de l’écorce du liège, polluée par des insecticides, de l’air, ou encore de produits utilisés dans le chai. Ces composés peuvent causer de gros dégâts. Par exemple, 1 gramme de TCA peut contaminer plusieurs dizaines de millions de bouteilles.

Heureusement, la technologie progresse, puisqu’il y a 25 ans, les études montraient que 15 % des vins obturés par le liège étaient bouchonnés, alors que les valeurs aujourd’hui sont de l’ordre de 2 à 3 %. Ce défaut continue pourtant de faire beaucoup de mal aux producteurs, du fait que la majorité des consommateurs ne savent pas l’identifier, soit par méconnaissance, soit pour des raisons plus physiologiques, de sorte qu’ils attribuent souvent au vin le défaut qui revient en réalité au bouchon.

Malgré cela, le bouchon en liège naturel reste la solution de choix pour les grands vins, conjuguant à la fois les qualités mécaniques, esthétiques et traditionnelles. C’est aussi une solution coûteuse puisqu’un bouchon en liège naturel de qualité peut valoir jusqu’à un euro l’unité.

Le colmaté 

le bouchon colmate

Les bouchons en liège naturel présentant une quantité importante de lenticelles2 sont soumis à une opération de colmatage. Les pores sont obturés par un mélange de colle et de poudre de liège afin de garantir une meilleure performance. Ils sont moins onéreux que le liège monobloc mais aussi moins adaptés à la garde.

L’aggloméré

le bouchon agglomere

Les bouchons agglomérés sont issus de chutes de liège reconstituées et liées par une colle. Ils sont plus ou moins adaptés à la garde selon leur densité et leur longueur mais certains vieillissent mal et peuvent libérer dans le temps des particules de liège dans le vin. Les consommateurs peu avertis peuvent alors penser que le vin est « bouchonné ». Ils ont tout de même l’avantage d’être nettement moins coûteux que le bouchon de liège monobloc.

Faut pas pousser le bouchon !

Lorsque la consommation de vin explose dans les années 1970, les pays traditionnellement viticoles sont rejoints par de nouveaux acteurs sur le marché, ce qui va accroître la demande de liège. Les fabricants, pour répondre à cette envolée, augmentent et accélèrent la production, ce qui aura pour conséquence d’entraîner une explosion de déviations organoleptiques diverses causées par du liège de mauvaise qualité. Lassés par ce problème, certains producteurs rejettent le bouchon de liège et se tournent vers des solutions alternatives, qui n’ont de cesse, depuis, de s’améliorer et de se multiplier.

Les bouchons techniques

les bouchons techniques

L’une des innovations les plus intéressantes en matière de bouchon technique est certainement l’utilisation du CO2 supercritique (soumis à une pression et une température supérieures à celles de son point critique) dans le traitement du liège. Les propriétés du CO2 supercritique, déjà employé pour extraire la caféine dans les procédés de décaféination, permettent de nettoyer le liège, monobloc ou réduit en fin granulat, de toutes traces de TCA ou autres substances responsables de déviations dans les vins. Le bouchon peut ensuite être reconstitué à l’aide d’un liant.

La société française Diam, ou encore la société portugaise Amorim, leader du liège sur le marché international, ont développé et breveté cette technique pour garantir un liège zéro goût de bouchon. Ces solutions offrent aussi différents niveaux de perméabilité selon le potentiel de garde du vin, dont l’indice figure sur le bouchon. On connait cependant encore assez mal l’évolution du liant dans le temps. Révolutionnaires, ces bouchons grignotent des parts de marché mais ils restent chers, allant de 0,40 centimes pièce à un euro selon la qualité et la performance.

Le « 1+1 »

le bouchon 11

Le 1+1 est issu des techniques de fabrication des bouchons de Champagne. C’est un bouchon constitué d’un corps en aggloméré de liège et d’un disque en liège naturel à chaque extrémité. Il existe, là encore, différents niveaux de qualité. Le prix est bien sûr moins élevé que celui d’un bouchon en liège naturel.

La capsule à vis 

la capsule a vis

Développée pour le vin à partir des années 1950, la capsule à vis a réellement fait son entrée sur le marché international dans les années 2000, lorsqu’elle a été démocratisée par les Australiens et les Néo-Zélandais. En Europe, ce sont les Autrichiens et les Suisses, grands producteurs de vins blancs, qui se tournent les premiers vers cette solution de bouchage. Selon une étude récente et contre toute attente, la capsule à vis représenterait maintenant 37% de part de marché (Diéval 2020), contre 30% pour les bouchons à base de liège.

Elle est pourtant encore très mal vue sur de nombreux marchés, où elle est associée à des vins bas de gamme, destinés à être consommés rapidement. On lui reproche de ne pas permettre les échanges gazeux nécessaires à l’évolution des grands vins, voire de mettre les vins dans des conditions d’asphyxie, ce qui peut provoquer l’apparition dans les vins d’odeurs nauséabondes, chou-fleur ou conduit d’évier bouché. En effet, les études ont montré que l’OTR (Oxygen Transmission Rate : taux de transfert d’oxygène) d’une capsule à vis est nettement inférieur à celui d’un bouchon en liège naturel. Elle est donc tout indiquée pour l’obturation des vins blancs, qui craignent davantage l’oxygène et est idéale pour des cépages aromatiques, dont elle protège le caractère variétal. Le Sauvignon blanc de Nouvelle-Zélande en est un parfait exemple.

Cependant, les fabricants proposent aujourd’hui différents joints qui permettent d’ajuster les échanges gazeux, au millimètre près, permettant ainsi d’adapter ce système à tous les marchés. Par ailleurs, il faut noter que l’évolution des arômes du vin vers ce que l’on nomme le « bouquet de réduction » ne nécessite que peu d’oxygène. L’oxygène que contient le vin et l’oxygène qui se trouve dans l’espace de tête (entre le bouchon et le liquide) est suffisant pour permettre une évolution favorable vers les arômes dits tertiaires.

Outre qu’elle garantit zéro goût de bouchon ou autres déviances liées à l’obturateur, la capsule à vis permet une évolution très homogène des vins, et donc l’assurance que tous les vins d’un même lot vieilliront dans le temps de la même manière, ce que ne peut pas garantir un bouchon en liège naturel.

Autre avantage, mineur celui-ci, le vin peut être entreposé à l’horizontal, à la verticale et même en diagonale, si le cœur en dit à son propriétaire, ce qui n’est pas recommandé avec le liège, qui doit rester au contact du liquide afin de ne pas se dessécher. La simplicité de son utilisation pour le consommateur est un autre atout en sa faveur.

Certes, elle ne fait pas rêver. D’un côté, rappelons que, bien que recyclable, sa fabrication n’est pas neutre écologiquement et de l’autre, il est tout de même plus grisant de sortir un bouchon de liège de son écrin de verre et d’entendre le « pop » que cela provoque. Le meilleur ami de l’homme n’est-il pas le tire-bouchon ?

Les bouchons synthétiques

les bouchons synthetiques

Les bouchons synthétiques sont généralement composés de mousse en polyéthylène. Ils reprennent la forme du bouchon de liège et son principe, pour satisfaire le désir des consommateurs de manier le tire-bouchon, et ils mettent le vin à l’abri de déviations telles que le TCA. Néanmoins, les études ont démontré qu’avec un bouchon synthétique, le taux de transfert d’oxygène (OTR) était rapide et important. Ils sont donc généralement indiqués pour des vins à rotation rapide et leur faible prix les place aussi dans cette catégorie. Autre inconvénient, alors que le bouchon de liège retient les liquides mais aussi les gaz, les bouchons synthétiques n’ont pas cette propriété, ce qui signifie qu’il peut parfois y avoir des transferts d’arômes. On parle alors de « flavour scalping ».

Pour autant, l’industrie du bouchon synthétique elle aussi évolue, et les fabricants redoublent d’innovation. Nomacorc, leader sur le marché, propose maintenant des bouchons synthétiques fabriqués à partir de polymères issus de produits naturels, la canne à sucre par exemple, qui ont une empreinte carbone neutre et sont 100 % recyclables. Les meilleurs offrent aussi de bonnes performances en apport d’oxygène et permettent donc de conserver les vins dans de très bonnes conditions.

Le bouchon en verre ou autres curiosités

le bouchon en verre ou autres curiosites

Le bouchon Vinolok est constitué d’un bouchon en verre et d’un joint d’étanchéité. Il est facile à ouvrir et fermer et, selon une étude menée par l’Australian Wine Research Institute (AWRI), son taux de transfert d’oxygène (OTR) est similaire à celui d’un bouchon en liège naturel. En outre il n’y a aucun risque de contamination par le bouchon ou de faux goût et il est recyclable à l’infini. Son design séduit, en particulier les producteurs de rosé, qui y recourent de plus en plus, ce qui a pour résultat d’augmenter d’autant plus le prix de ces vins car ce système a un coût (à partir de 50 centimes la pièce). 30 millions d’unité auraient été vendues en France en 2021, c’est donc un système qui a le vent en poupe !

Pas si simple !

En 2017, l’université d’Oxford a mené une étude impliquant 140 participants chargés de déguster deux vins, l’un obturé par une capsule à vis, l’autre par un bouchon de liège. Ignorant qu’ils dégustaient en réalité le même vin, les participants ont jugé l’échantillon fermé par le bouchon de liège supérieur en qualité à celui obturé par la capsule à vis. En moyenne d’un pays à l’autre, 90 % des consommateurs associent le liège à des vins de qualité supérieure, et sont prêts à payer plus cher pour un bouchon en liège. Il ne faut pas sous-estimer la « pensée magique » en dégustation, c’est-à-dire l’influence du contexte et de l’image ! Le plus grand défi pour l’industrie reste encore de convaincre le consommateur, notamment sur des marchés européens conservateurs, comme la France. Laissons à Philippe Guigal du domaine E. Guigal (Ampuis), le soin de clôturer cet article, avec une citation qui illustre bien les propos évoqués plus haut : « Le vin n’est pas qu’une question de technique, c’est aussi une question d’émotion, et derrière l’émotion, il y a l’humain. Il est tout à fait possible que dans mes rêves, je voie un bouchon de liège magnifique, un bouchon de liège de qualité supérieure. Je dois dire que j’ai rarement rêvé de capsules à vis. Et si cela m’arrivait, ce ne serait pas un rêve. »

 

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