Gin : Un parfum comme les autres ?

28 avril 2021

Il y a quelques années, à bord d’un vol long-courrier à destination de Mumbay, après une nuit en pointillé, je me dirige péniblement vers le point d’eau. Évidemment, je ne suis pas le seul passager à avoir eu cette idée, et je patiente donc dans cet étroit couloir. Cependant, mon regard se pose sur les portes entrebâillées des cabines voisines, je découvre qu’elles sont occupées par le personnel de bord. Hôtesses et stewards s’étirent et s’apprêtent. Le geste d’un steward attire mon attention, il s’est emparé d’une mignonette de Gin, à cet instant je me dis qu’il est un peu tôt pour le gin, mais à ma grande surprise, il la débouche, s’en asperge les mains, puis s’en frictionne les joues et le cou. Je suis encore touché aujourd’hui par ce geste que j’ai trouvé simple et élégant. Après tout peu de chose différencie le gin de l’eau de Cologne. Un support alcoolique contenant des essences aromatiques, des épices, des fleurs, des fruits… Pourquoi ne pas se parfumer au gin ? Pourquoi ne pas boire son eau de Cologne ?

Le parfum: un ancêtre commun

Tout commence avec le parfum. Depuis l’antiquité, les panthéons étant établis dans les cieux, les Hommes cherchent à communier avec les Dieux à travers l’élévation des fumées. Ils brûlent des matières odorantes, pour que cette blanche fumée parfumée s’élève jusqu’au divin domicile, c’est d’ailleurs l’origine même du mot parfum « per fume » par la fumée.

Ce sont les égyptiens qui ont inventé le premier parfum, le Kyphi. C’est un baume polyvalent, qui peut servir d’encens, de parfum, comme de pommade apaisant les douleurs du corps et de l’esprit. Les recettes de Kyphi sont nombreuses, et comportent en règle générale une quinzaine d’ingrédients, parmi ceux-ci l’on trouvera systématiquement les baies de genièvre.

Le Divin médecin

On regroupe de nombreuses sciences antiques sous le terme d’alchimie. Bien avant que celle-ci ne soit réduite à l’obsession de la transmutation du plomb en or, l’alchimie, et son praticien, l’alchimiste, représentaient la sagesse, le savoir, et les techniques scientifiques les plus abouties.

Le genévrier et son fruit, sont connu depuis bien longtemps pour leurs multiples qualités. Mais c’est avec l’arrivée de l’alambic et la maitrise de la distillation (autour du 12ème siècle), que l’alchimie va connaitre un nouvel essor, et la baie de genièvre avec elle.

Grâce à la distillation, on peut extraire l’essence même de la matière, son âme, son esprit. Au 14ème siècle, les traités d’alchimie mentionnant l’usage du bois de genévrier et de son fruit sont nombreux, la baie de genièvre est la starlette des grimoires, mais son distillat est loin d’être récréatif. Cependant apparaissent les « aqua vitae » et autres « aqua mirabilis », ces potions miracles, basées sur des distillats d’esprit de vin et de multiples ingrédients, servent aux soins de tous les maux, en usage externe (friction, cataplasme) aussi bien qu’interne…

Les premières apparitions du Gin

La première recette d’eau de vie de genièvre à usage récréatif plutôt que médicinale, nait aux Pays-Bas. Baptisée « Verbatim 1495 », il semblerait qu’elle ait été commandée par un riche gentilhomme des Flandres. Cette recette qui ne contient pas moins d’une quinzaine d’ingrédients, est exceptionnelle pour l’époque car on y trouve des épices venues d’Orient en quantité. Ces premières bouteilles de « gin » avaient donc une immense valeur. Loin d’être un essai isolé, la distillation, ainsi que la consommation de ce « genever » va s’imposer peu à peu à travers les Flandres. A cette époque, ce royaume règne sur les flots, grâce à ses navires rapides, et sa toute puissante « Compagnie des Indes Orientales », la meilleure Marine Marchande du monde connu. Quoi de plus facile donc, pour qui en a les moyens, que de se fournir en épices des plus rares et exotiques.

En 1693 un certain Giovanni Paolo Feminis, gentilhomme italien s’établit à Cologne afin de faire commerce d’une Eau miraculeuse dont il détiendrait la recette. Celle-ci est basée sur une Aqua Mirabilis composée d’esprit de vin, de citron, de cédrat, de bergamote, de mélisse, de romarin et de néroli. Cette dernière lui bâtira une réputation à travers toute l’Europe. Son héritier, Jean-Marie Farina se verra dans l’obligation de quitter Cologne pour Paris, où il s’établira lui aussi comme parfumeur, détenteur de l’authentique formule de « l’Eau de Cologne ». Jusqu’à ce que celle-ci soit rachetée en 1862 par les parfumeurs Armand Roger et Charles Gallet, fondateurs de la Maison Roger & Gallet qui produit encore aujourd’hui « L’Extra Vieille ».

 

L’ Émancipation du Gin

Le gin fini par arriver en Angleterre où il séduit le peuple. A Londres, une succession de décrets (Gin Acts) va entrainer une crise sans précédent : la « gin craze » gagne la capitale, la consommation flambe et l’état sanitaire de la capitale s’écroule un peu plus. De ces temps obscurs vont naitre les premières législations sur la production et la consommation de cet alcool. Ainsi le gin finira par séduire les élites londoniennes, qui suite aux conflits avec la France se trouvent privées de brandy. Le gin sera même valorisé à bord de la Royal Navy pour ses qualités curatives, où son médecin en chef, Sir Thomas Desmond Gimlette, mettra au point une recette basé sur un mélange de gin et de citron vert sensée neutraliser le scorbut et la dysenterie. A cette même époque, la distillerie de Plymouth fournit 1000 barriques par an de gin « Navy strength ».

De l’autre côté de la Manche, Napoléon conquiert l’Europe. Durant ses campagnes militaires, l’empereur se fait livrer régulièrement ses bonbonnes d’eau de Cologne. Ce dernier en fait une consommation démesurée, pas moins d’un litre par jours ! L’empereur prend ses bains parfumés à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, se fait frictionner, et confesse même en avaler une lampée avant de livrer bataille.

 

Les vraies retrouvailles

Le 20ème siècle verra l’apogée du gin et son déclin. D’ingrédient fétiche durant l’âge d’or de l’art du cocktail, il finira dans l’oubli au profit de la vodka, dont le style neutre et sec séduira les barmen.

L’Eau de Cologne quant à elle, passera de favorite impériale à classique populaire. Symbole de sa place dans la société, cet embarrassant produit hésitera entre les étagères des pharmacies et des parfumeries pour finir sur celles des supermarchés.

En 1987, lorsque le « Bombay Sapphir » arrive sur le marché moribond du gin, c’est la révolution. La distillerie utilise un alambic « carterhead », qui permet une extraction des botanics à travers la vapeur de l’alcool plutôt que par un contact direct avec le liquide. Le gin qui en résulte est fin et délicat, doux comme un véritable parfum. Cette technique pourtant ancienne, donne des idées à de nombreux distillateurs, et des styles de gin différents apparaissent.

En France, le couturier Thierry Mugler amateur de rupture en matière de style, lance en 2001 sa Cologne basée sur un accord : bergamote, petit-grain, néroli, fleur d’oranger et muscs blancs. Vision épurée de la recette originelle, le jus est mixte, le flacon ultra moderne, c’est un énorme succès commercial.

En 2015 arrive sur le marché le gin du domaine Hepple. Fruit de la collaboration d’un chef cuisinier, d’un barman et d’un distillateur, l’objectif est d’obtenir un gin proposant toutes les facettes du genièvre. En complément des techniques habituelles, le trio fait l’usage de l’extraction par fluide supercritique qui permet l’extraction de molécules aromatiques sans en altérer la structure. Une technologie de pointe issue de l’industrie de la parfumerie…

 

Le boom du Gin

Aujourd’hui, on dit qu’un nouveau gin arrive sur le marché chaque jour. L’engouement pour ce produit est inédit : là où les arômes d’un verre de whisky peuvent laisser l’amateur dans la confusion, le gin est clair et net. Son élaboration qui peut sembler simple, est en réalité extrêmement complexe. A travers leurs gestes, les grands distillateurs nous rappellent chaque jour que l’alchimie n’est pas si loin, et que le gin est un parfum qui se boit.

Article rédigé par notre expert spiritueux, Hugo Plault, que vous retrouverez sur les formations WSET Niveau 1 et 2 en spiritueux chez WiSP.


Pour aller plus loin :

  • Elisabeth de Feydeau « Dictionnaire Amoureux du Parfum »
  • Dave Broom « Manuel du Gin »
Hugo PLAULT

Hugo PLAULT

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