La distillerie Savanna, implantée sur l’île de la Réunion, montre avec audace et excellence qu’il est possible, à partir d’une même matière première, d’obtenir des palettes aromatiques très diversifiées dans le rhum.
L’ancienne Île Bourbon a connu la fermentation du jus de canne et sa distillation dès 1704. Le boom de l’industrie sucrière au 19ème siècle a généré la création de multiples distilleries, dont plus d’une trentaine existaient encore dans la première moitié du 20ème siècle.
Aujourd’hui, elles ne sont plus que quatre :
- Isautier, fondée en 1845 est la plus ancienne distillerie de la Réunion.
- Rivière du Mât, est la plus grande distillerie de l’île.
- La Part des Anges, fondée en 2009, est la plus petite distillerie de l’île
- Savanna, fondée en 1870, la seule distillerie au monde à produire à la fois du rhum agricole, du rhum traditionnel de sucrerie, et le rhum grand arôme.
La distillerie Savanna: des rhums d’exception
Commençons par le Rhum Grand Arôme (qui se veut très proche des rhums high esters jamaïcains) très peu connu dans le monde des spiritueux. Ce type de rhum est habituellement utilisé dans l’industrie agroalimentaire, dans la parfumerie ou comme bonificateur pour certains rhums plus légers. C’est un rhum de mélasse à longue fermentation (5 à 10 jours), distillé sur une colonne en cuivre de type Savalle qui sort à 72% vol. Son profil aromatique est basé sur des arômes prononcés et complexes comme la vanille, fruits confits, l’olive vert, le tabac, l’ananas, la banane, le vernis à ongles…
Le rhum agricole, directement issu du jus de canne à sucre avec une durée de fermentation de 36h est distillé sur une colonne en cuivre de type Savalle et sort à 72% vol. Son profil aromatique est basé sur des notes végétales, fruitées et épicées.
Le rhum traditionnel, élaboré à partir de la mélasse, avec une durée de fermentation de 24h est distillé à 78% vol dans une colonne en continu. Son profil aromatique est basé sur des notes torréfies, vanillées, épicées, fruits confits.
Les Techniques de fabrication du rhum
1 – Les matières premières
Le jus de canne est utilisé pour la fabrication du rhum agricole.
La mélasse, sous-produit de la fabrication du sucre, source de sucre fermentescible, est valorisée en distillerie pour l’élaboration du rhum traditionnel et le grand arôme.
La vinasse est l’eau résiduaire de la distillation des moûts fermentés. Pour son pouvoir acidifiant, elle est utilisée pour la production du grand arôme. La vinasse apporte de la matière azotée et minérale qui favorise des réactions d’estérification.
Les eaux de dilution : la composition minérale et notamment bactériologique de l’eau utilisée, pour la préparation des moûts, influe sur le déroulement de la fermentation et la qualité des produits obtenus. C’est rarement le l’eau urbaine. Les eaux de surface (eau de source) ne sont pas traitées avant leur utilisation pour la composition des moûts.
La composition des moûts consiste à mélanger dans des proportions données la matière première sucrée (mélasse, jus, concentré) à de l’eau (ou de la vinasse pour un Grand Arôme) de manière à obtenir une concentration en sucre de l’ordre de 100 g/l.
La complémentation
Les extraits de canne à sucre ne contiennent pas suffisamment d’éléments nutritionnels à la levure pour effectuer la transformation sucre-alcool. Ce sont généralement l’azote et plus rarement des sels de magnésium qui sont apportés.
L’acidification
L’acidification des moûts de rhumerie est nécessaire, car une acidité insuffisante favorise la multiplication et l’activité bactérienne préjudiciable à la qualité des produits. Le plus simple moyen pour éviter une trop forte production d’acide acétique consiste à abaisser le ph (optimal 3.6 – 3.9) du moût, dès le départ en fermentation. Pour le Grand Arôme, l’acidité est apportée par la vinasse.
2 – La fermentation alcoolique
En rhumerie, la fermentation principale alcoolique est l’œuvre de levures, généralement des Saccharomyces cerevisiae. Des populations bactériennes, provenant des matières premières, des sucres ainsi que de l’eau de composition des moûts.
Les températures élevées (supérieures à 35 °C) réduisent l’activité de la levure avec des pertes en alcool. La levure forme davantage d’esters en milieux à faible température.
La durée de la fermentation peut durer une douzaine d’heures pour la production de rhum léger, de 24 à 36 h pour un rhum traditionnel ou agricole, et environ une dizaine de jours pour la production de rhum grand arôme.
3 – La distillation
La distillation a pour but de concentrer l’alcool, de séparer des « bons » arômes des « mauvais » arômes parmi les composés chimiques contenus dans le vin de canne qui est imbuvable, aigre et peu alcoolisé.
Le rhum est distillé aussi bien en alambic à colonne qu’en alambic à repasse. Ca dépend du style qu’on souhaite élaborer. En fin de distillation, il reste la vinasse, un liquide résiduel des moûts fermentés.
4 – Maturation et vieillissement
Après une maturation de quelques semaines/mois en cuve d’inox pour éliminer les composés les plus volatils, on obtient la gamme des rhums blancs.
La maturation est effectuée en foudre de chêne pendant quelques mois. Une légère coloration est obtenue et les propriétés organoleptiques du produit qui en est issu tient à la fois du rhum blanc et du rhum vieux. C’est le rhum paille/ambré.
Le vieillissement en fûts de chênes consiste à extraire des composés tanniques et aromatiques. Durant le vieillissement, il y a une évolution concernant les arômes issus du bois et du rhum par une oxydation au contact de l’oxygène de l’air à travers le fût ainsi qu’une estérification.
Dans le monde du rhum, il existe deux types de vieillissements, tropical et continental. L’évaporation d’une partie du rhum et la diminution ou augmentation (climat tropical) du degré alcoolique changent en fonction du climat. La « part des anges » dans une zone tropical est d’environ 8% vs. 2% en Ecosse ou à Cognac ce qui a une grande influence sur le profil aromatique du rhum.
La finition a pour objectif d’apporter un complément aromatique, obtenu par le passage du rhum pour une durée plus ou moins longue dans un fût dont la première utilisation aura été en règle générale très différente (Porto, Xérès, Calvados, Armagnac…)
Quelques chiffres autour de la canne à sucre sur l’île de la Réunion
- 3000 producteurs de canne à sucre et 24.000 Ha de cannes sont cultivés, ce qui représente 60% de la surface agricole
- 1/3 de la canne est coupée à la machine, 2/3 est coupé à la main (il suffit de regarder le relief de l’île)
- 1 tonne de canne = 100 kg de sucre = 39 kg de mélasse
- 1 ha de canne représente 80 à 100 tonnes de cannes
- un coupeur de canne coupe environ 5 à 6 tonnes par jour
Les éléments de distinction d’un rhum blanc agricole, d’un rhum traditionnel et grand arôme sont déterminés par la qualité de la matière première, le processus de fermentation, la distillation et le vieillissement tropical ou continental en fût de chêne.
Article rédigé par Hiltraut Schwarz, experte et formatrice spiritueux à WiSP.